CONTRÔLE QUALITÉ INDUSTRIEL CONTRÔLE QUALITÉ DANS LA SANTÉ AVIS D’EXPERT Que peut apporter la métrologie à la santé ? Dans un contexte de recherche de maîtrise des dépenses de santé, de besoin d’innovation médicale, on peut se demander s’il est pertinent d’engager des ressources et des compétences sur la démarche métrologique. ©DR Olivier Pierson, consultant en organisation des laboratoires chez Laboperf S’assurer que l’on se rapporte bien aux mêmes unités physiques, à l’incertitude près, lorsque l’on exprime un résultat de mesure, établir la traçabilité métrologique des mesures dans le domaine médical : est-ce bien utile, face à des patients dont de nombreux paramètres physiologiques (glycémie, pression artérielle) varient communément de 10 % d’un individu à l’autre, et varient pour même individu selon l’activité physique, les repas, les traitements médicaux et de nombreux autres facteurs ? Le praticien ne met-il pas en perspective tous ces facteurs ainsi que l’historique du patient pour prendre des décisions de traitement, sans avoir, le plus souvent, à se préoccuper des « incertitudes » supplémentaires qui peuvent découler de mesures physiques ? Dans mon parcours professionnel, j’ai pu constater au contraire que la métrologie occupait une place importante à toutes les étapes qui aboutissent à des soins efficaces. Au stade de la recherche, en santé comme dans les autres domaines, une condition nécessaire pour faire progresser la connaissance et de produire des connaissances qui peuvent être confirmées par d’autres, donc de s’appuyer sur des mesures valides, donc reproductibles. L’épidémiologie ne fait pas exception. Sortir les signaux importants d’une multitude de données lors d’une étude épidémiologique suppose, en effet, à la fois que toute la population étudiée soit comparée aux mêmes références, mais aussi que les signaux ne soient pas pollués par des valeurs isolées aberrantes. Quand on mène des recherches sur le vivant, l’éthique implique parfois un recours limité à l’expérimentation. On comprend bien que tester expérimentalement la propagation du coronavirus en utilisant des patients sains ne soit pas envisageable… Dès lors, il est important de sécuriser autant que possible la prise des mesures réalisables, notamment de limiter l’expérimentation animale en bornant dès le début l’erreur aléatoire. A l’étape des études cliniques et du ©DR La métrologie occupe une place importante à toutes les étapes aboutissant à des soins efficaces. développement de produits de santé, dont le maître mot est la démonstration du rapport bénéfice / risque, les parties prenantes ont besoin de résultats opposables et objectifs. Cela passe par la confiance dans les processus de mesure. Je me souviens d’un laboratoire qui jugeait non pertinent d’assurer la traçabilité métrologique de balances qui servaient à peser des « sujets » dans le cadre d’essais cliniques : c’est discutable si la pesée sanctionne l’essai ou est déterminante dans la validité du protocole appliqué. Dans le cadre des essais cliniques, il est souvent utile de disposer de références reconnues sur ce qui est « non pathologique » : la démarche métrologique est pertinente dans ce cas. Au stade de la fabrication, les produits de santé ne se distinguent pas fondamentalement d’autres activités qui ont de forts enjeux sur notre vie : l’alimentaire, l’aéronautique, le nucléaire… On raisonne alors avec des cycles de vie du produit, des analyses de risques (donc la maîtrise des procédés et des mesures). 36 I QUALITÉ RÉFÉRENCES • N°90 • Septembre - Octobre - Novembre 2021
CONTRÔLE QUALITÉ DANS LA SANTÉ CONTRÔLE QUALITÉ INDUSTRIEL « L’approche métrologique a toute sa place dans les métiers de la santé. » Enfin, quand il s’agit d’appliquer le traitement, même si chaque patient est différent, trouver l’optimum entre l’effet souhaité et les effets indésirables est essentiel. De nombreuses approches thérapeutiques (radiothérapie, chimiothérapie, thermothérapie…) reposent sur la réponse différente au traitement entre tissus sains et malades. Ainsi, la figure 1 montre que la mesure de la dose appliquée et son incertitude sont critiques. Sous-exposer (position 1) signifie ne pas assez appliquer le traitement et laisser des tissus malades. Surexposer, (position 3) équivaut à léser des tissus sains. Dans les deux cas, le pronostic est engagé. Le meilleur résultat est obtenu pour la position 2. Même si la réponse des patients au traitement peut être différente, maîtriser la dose appliquée d’une séance à l’autre est non seulement un enjeu d’efficacité mais aussi de sécurité. Cependant, le lien entre la qualité du produit et la santé du patient est direct, et d’autant plus sensible que le patient est déjà exposé à sa pathologie. Il m’est arrivé d’auditer une entreprise qui fabriquait un implant dont la pose était liée à la maîtrise en production d’un paramètre physique très spécifique. Quand j’ai appris plus tard que mon propre père s’était fait poser cet implant et que l’intervention avait échoué, inutile de dire que je me suis demandé si j’avais passé le temps nécessaire sur le raccordement métrologique de ce fameux paramètre… Les produits et traitements sont appliqués après un diagnostic. Le médecin pose celui-ci en intégrant de nombreuses informations, dont des résultats de mesures et d’analyses. Certes, ces résultats ne sont souvent qu’un élément dans la prise de décision, mais ils doivent être robustes et toujours plus discriminants, sachant qu’un faux négatif comme un faux positif peuvent coûter cher en termes de santé du patient, voire de réactivité sanitaire. La décision ne pouvant pas dépendre du laboratoire qui a réalisé l’analyse ou du personnel soignant qui a pris la mesure, il est nécessaire de disposer de références communes (matériaux de référence certifiés, résultats d’essais d’aptitude, protocoles d’étalonnages) qui permettent d’évaluer la confiance que l’on peut accorder aux résultats, et donc leur part dans la décision du médecin. Pour moi, cela ne fait donc aucun doute : l’approche métrologique a toute sa place dans les métiers de la santé. Il est dès lors d’autant plus important que les solutions techniques et les référentiels en métrologie restent compatibles avec les nouveaux besoins du monde médical, par exemple en matière de séquençage ou de caractérisation des données de référence ● Olivier Pierson Figure 1 : réponse différenciée des tissus selon la dose. ©DR QUALITÉ RÉFÉRENCES • N°90 • Septembre - Octobre - Novembre 2021 I 37
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